Un dernier jour, c’est un peu comme un dernier verre, on en a pas vraiment envie mais on y est amené par la force des choses…
5 mois et 5 jours en Palestine, c’est un peu comme un rêve andalou abîmé, on veut comprendre, et puis ça devient une obstination…
Faire un bilan de ce séjour, c’est un peu comme lire la moitié d’un livre, on n’en connait pas la fin… d’ailleurs, j’ai presque oublié comment ça a commencé.
Pourtant, entre derniers au revoir et rapports (oui je suis exploitée) et si je devais, malgré tout, retenir deux ou trois choses, quatre ou cinq impressions subjectives de cette expérience, elles seraient les suivantes :
A ceux qui me demanderont une première impression, je leur dirai cette première chose : cet endroit du monde est énorme paradoxe en action au point ou j’en arrive à la conclusion, toute aussi paradoxale qu’il est beaucoup plus facile de vivre en Palestine qu’en Israël. En tout cas pour un étranger, propriétaire privilégié d’un passeport européen. En tout cas pour moi. Aller dans les villes israéliennes me donne toujours le sentiment désagréable de me frotter à une société sans jamais la comprendre, sans jamais toucher du doigt ce qui fait que ces gens, vivent comme si de rien n’était, comme si il n’y avait pas de palestiniens à quelques kilomètres de là, comme si la folie du projet sioniste se justifiait pleinement … Bien sûr, le israéliens sont loin de former une société homogène mais ça reste un échec pour moi, il y a quelque chose qui m’échappe et je dois avouer que me balader en Israël avait parfois quelque chose d’insupportable et je dis bien parfois (bien que souvent), il est des humeurs plus ou moins disposées à s’accommoder … Une chose est sûre, c’est que je suis devenue antisioniste.
A ceux qui me parleront des pauvres petits palestiniens, je leur dirai cette deuxième chose : il faut se garder de tout misérabilisme. Qu’on ne vienne pas me demander de jouer les yeux mouillés. Il y a quelque chose de terrible à considérer les palestiniens comme un peuple de bons petits arabes au sort injuste. Oui, les palestiniens sont un peuple opprimé. Oui, ils subissent une occupation illégale et destructrice. Mais, il y a la Palestine et les palestiniens. Il y a la cause et les gens. La Palestine a son lot de cons, de collaborateurs, de machos comme partout ailleurs dans le monde. La résistance reste un choix personnel ou familial. Les palestiniens ne sont pas une entité homogène et uniforme, pierre à la main et drapeau en écharpe. Bien sûr, la charge émotionnelle est parfois tellement forte que ce ne sont pas des discours nuancés qui me sont venus à l’esprit, mais je ne suis pas palestinienne et je ne sais pas ce que c’est de naître en Palestine. Je ne peux être qu’un témoin parmi d’autres de cette situation irréaliste. Je ne peux que modestement partager mon expérience et dénoncer ce qui se passe ici. Je ne peux que vous compter les formidables moments que j’ai partagés avec Mohammed, Mahmoud, Mohammed, Issa, Nassar, Ayoub, Hiba, Faisal, Mahmoud, Salam et Mohammad …(oui je sais, ça fait beaucoup de Mohammed). Une chose est sûre : je n’offrirai jamais qu’une vision partielle et je ne parlerai jamais au nom des palestiniens.
A ceux qui me diront que je suis courageuse, je leur dirai cette troisième chose : Ramallah est un gros bourg sympathique. Ce n’est pas Naplouse, ce n’est pas Jenin. Les rues sont animées, on trouve des bars ouverts tard le soir, il y a de la fête et de la vie. Il y a des expositions artistiques, des concerts, des soirées thématiques. Alors évidemment, ce n’est pas tous les jours et ce sont bien souvent des lieux d’expatriés privilégiés ou de riches palestiniens, loin de moi l’idée de donner l’image de d’une ville tendance, mais il est important de souligner que ces lieux existent. Le paradoxe est à nouveau dans la place : entre incursions et martyrs, les hommes et les femmes s’adaptent des espaces de liberté. Avec tout ce que l’adaptation contient de terrible. 5 mois à Naplouse auraient été différents, je pense même que je n’aurai pas eu les nerfs assez solides, et je n’imagine même pas ce qu’aurait pu être Gaza…Je n’ai pas travaillé dans les camps de réfugiés ni évolué dans une organisation difficile. Une chose est sûre : j’ai vécu des grands moments de bonheur à Ramallah.
A ceux qui me poseront des questions sur l’Islam, je soulignerai qu’il y a des arabes chrétiens et je ne pourrai donner un avis subjectif que sur les islams palestiniens. Je leur dirai qu’il y a autant de pratiques que de fidèles, que les interprétations du Coran dépendent des yeux qui le lisent avec plus ou moins d’indications politiques selon la longueur de la barbe, avec paix et amour ou guerre sainte selon les jours. Peut être qu’il y a globalement un retour vers l’Islam empreint d’influences saoudiennes avec un certain rigorisme mais, la religion est aussi pour beaucoup de personnes une bouée de secours, une sorte de kit de survie dans le bordel ambiant et un élément d’explication face à l’hypocrisie internationale et surtout, une réponse au discours de l’administration Bush. Bien sûr, il y a des femmes voilées, bien sûr ce n’est pas toujours un choix libre et conscient. Mais on ne saurait réduire la liberté d’un être selon qu’il porte au non le voile. D’autant qu’il peut autant signifier soumission que dignité. Il y a la religion, il y a les traditions, il y a le regard de la société. Après il y a des droits pour chacun et c’est là le plus important. Bien sûr, les rôles sociaux qui reviennent aux femmes et les espaces d’expression qui leurs sont laissés font parfois bondir et les donneurs de leçons morales ont quelque chose d’irritants. Mais, il faut aussi distinguer ce qui est donné à voir et à entendre pignon sur rue de ce qui se passe côté jardin. La société musulmane palestinienne est loin d’être statique. Rien qu’au PFU j’ai rencontré une palette de musulmans et de musulmanes extrêmement variée. Je vous invite également à vous renseigner sur la place des femmes dans certaines communautés juives et plus généralement sur espaces laissés aux femmes dans toutes les religions du livre. Si la question des femmes est tendance, celle des hommes l’est tout autant. J’en retiens un énorme sentiment de frustration et un problème personnel pour ce qui est de la représentation de la femme « occidentale ». Une chose est sûre : la religion est un outil d’une puissance redoutable pour tout ce qui touche à ce conflit. Comme rien n’est vérifiable (n’en déplaise aux plus pieux d’entre vous), on peut lui faire dire ce qu’on veut et il suffit de pencher un peu du côté de Jérusalem pour avoir une idée.
A ceux qui me demanderont si je crois à l’huile d’olive palestinienne, je leur dirai de relire mon blog en entier et peut être même que je ne répondrai même pas tellement la question est con (humour bien sûr, ne te formalise pas). C’est ma seule religionJ. Travailler avec et pour un syndicat agricole palestinien, Iti’had Muzara’in Falastiniyye, c’est débarquer là ou personne ne vous attend, découvrir le monde merveilleux de l’huile d’olive et avoir envie d’y rester un peu plus longtemps. Et ça marche. Je remercie par la même occasion le réseau FFIPP sans qui je n’aurai pas rencontré cette équipe de choc qui m’a accueilli à bras ouverts (un peu trop parfois d’ailleurs).L’huile d’olive palestinienne est un poison magnifique. Une chose est sûre : je n’ai pas fini de vous en parler.
A ceux qui me parleront d’espoirs de paix, je ne saurai que répondre. L’espoir fait vivre mais en attendant ce sont de vraies balles qui tuent. Ce mot ne signifie rien pour moi. Il ne correspond à rien de ce que j’ai vu et entendu ici. Il a été dénaturé, on lui a enlevé toute signification. Il n’y a rien qui me fasse penser à la paix. La communauté internationale n’a que ce mot là à la bouche. Serait-il possible que ses yeux rencontrent la réalité ou dédaignent bien la voir. Parler de paix alors qu’aucune des résolutions internationales n’ont été appliquées concernant la Palestine ça me semble étrange. Parler de paix alors qu’il y a un mur qui saigne le paysage, ça me semble bizarre. Parler de paix alors qu’il y a des checkpoints qui empêchent la libre circulation des palestiniens sur leur territoire, ça me semble irréaliste. Parler de paix quand je vois la monstrueuse construction qu’est Qalandia, je reste interloquée. Parler de paix alors que la colonisation sioniste continue et que l’armée israélienne est partout ça me semble fou. Parler de paix alors que le projet de grand Jérusalem prend forme grâce au soutien d’une entreprise française, ça m’écœure. Parler de paix alors qu’il y a des incursions toutes les nuits dans les villes palestiniennes et des destructions de maison tous les jours, je ris jaune. Parler de paix, alors qu’il y a des morts tous les jours, ça me fait moins rire. Alors, peut être que nous n’avons pas la même définition du mot paix. Peut être que la paix passe par un isolement de Gaza et de sa population, par une guerre civile palestinienne entre un pseudo Fatah et un certain Hamas, par la signature d’un énième accord de paix accompagné d’une magnifique feuille de route qui morcelle encore plus ce qui reste de territoire palestinien, ne mentionne pas la question des réfugiés et reconnaît, de facto, l’annexion de Jérusalem…c’est la thèse pacifiste défendue actuellement. Alors, on peut me reprocher que je n’y mets vraiment pas du mien pour voir quelque chose de positif, à juste titre d’ailleurs, mais plutôt que de parler de paix, je préfère parler de libération. Il ne peut y avoir de paix sans libération. Une chose dont je sois sûre : la Palestine est aujourd’hui un pays sous occupation.
Enfin, à ceux qui me demanderont « alors comment c’est là-bas ? », je les inviterai expressément à venir faire un tour en Palestine, le nez dans le bordel, les yeux attentifs et les oreilles à l’écoute en espérant qu’ils me livreront, à leur tour, une part de leur propre rêve andalou ….alan-w-salan
Je remercie tous ceux qui ont suivi ces 5 mois de stage de rêve andalou et qui y ont participé depuis la France ou ailleurs dans le monde et j’espère vous revoir très bientôt en France ou ailleurs mais surtout ici …inch’allah. Bon, je m’arrête là parce que ça commence à faire mélo… (Et dieu sait que j’aime le mélo).
Oléicolement,
Clairou